« Par la force des choses » Claire Norton

C’est avec un très très gros a priori, avouons-le, que j’ai commencé ce pavé mais ce sont les avis dithyrambiques qui m’ont poussée à tenter le tout pour le tout. Pourtant, ce roman d’amour à succès s’imposait à moi comme un énième condensé de clichés. Décidément, me voilà d’humeur aventurière et mielleuse en ce début de printemps. Il faut dire qu’après Danielle Steel, mes attentes étaient au ras des pâquerettes. 

Très vite, cependant, la magie a opéré et j’ai dévoré chaque ligne de cette superbe histoire. Nous suivons Lisa, née dans les années 70, jusqu’à la fin de ses jours et c’est une grande réussite ! Ce roman ne fait que raconter des pans de vie mais avec une sensibilité subtile et sans jamais tomber dans la mièvrerie. 

Claire Norton aborde des sujets universels, plus spécifiquement l’amour, qu’il touche au couple ou à la famille. Elle crée un décor plus vrai que nature et parvient à tenir le lecteur happé du début jusqu’à la fin. Il m’a été très difficile de stopper ma lecture et c’est en à peine trois jours que j’ai dévoré cette grosse brique. Il n’y a pas eu un seul moment de platitude où le rythme s’essouffle, pas un seul personnage qui ne soit pas attachant. 

Difficile donc de résumer « Par la force des choses ». Son titre, un peu gnangnan ne lui rend pas justice. Le seul élément qui ne m’a pas plu, mais c’est purement personnel, ce sont toutes ces références aux chansons de Jean-Jacques Goldman. L’autrice a très certainement voulu lui rendre hommage en insufflant un peu de sa poésie mais il n’y a rien à faire, je déteste sa musique. 

En somme, ce très beau roman m’a donné envie continuer à découvrir cette autrice et je me réjouis de mes prochaines lectures. 

« Les Whittier » Danielle Steel

Convenu. Voilà le premier mot que ce roman m’évoque. Forcément, je pouvais m’y attendre en parcourant la quatrième de couverture et en me rappelant vaguement avoir déjà lu cette autrice. Ce sera donc le deuxième et le dernier Danielle Steel en ce qui me concerne.

Constance et Preston, un couple de retraités, perdent la vie au cours d’un voyage. Ils laissent leurs six enfants (adultes) orphelins qui vont devoir apprendre à vivre sans eux et à cohabiter à nouveau ensemble dans la grande maison familiale.Le thème, léger, n’augurait rien de grandiose. Cependant, les clichés ont usé ma patience, sans parler de cette ambiance bien-pensante, ultra-américaine (new yorkaise). C’est un peu comme regarder une mauvaise comédie-drame US. Tout est prévisible et les personnages sont lisses à souhait. On meurt d’ennui devant la bonté de tous ces gens gentils. Heureusement que le personnage d’Amanda vient pimenter un peu ce décor artificiel avec tous les stéréotypes affligeants qu’elle incarne. Au secours !

Un autre problème réside dans la narration. En 200 pages, l’autrice parvient à nous résumer une tonne d’informations pourtant capitales et à faire changer du tout au tout la vie de chaque protagoniste. L’ellipse est donc son instrument favori, malheureusement elle ne parvient pas à la manier correctement. Certains passages sont complètement inutiles (par exemple, qu’est-ce qu’on s’en moque de la situation familiale et géographique des futurs parents adoptifs qui, finalement, n’adopteront pas. Pourquoi perdre deux pages et autant de salive à les décrie ?). A l’inverse, comment expliquer que cinq des six enfants vont trouver l’âme soeur en même pas un an ! Oui, oui, l’âme soeur !

Dans le monde de Danielle Steel, tout est magnifique, édulcoré, facile. J’oublie le plus important : ses personnages principaux sont beaux et riches. Lors des premiers chapitres, le lecteur a droit à une description physique complète de chaque personnage et l’autrice nous rappellera tout au long de cette mièvrerie à quel point ses héros ont un physique avantageux. Who cares?

Bref, ça passe le temps, c’est probablement mieux que de regarder de la téléréalité mais franchement, ça ne vole pas très haut et ça sera sans moi pour la suite. Next!

« La chasse » Maureen Desmailles

Max, 17 ans, fait face à une déception amoureuse en ce début d’été. Très vite, il rencontre Ellie et Cosme avec qui il partage plusieurs semaines aussi étranges que malsaines. Se noue entre eux une relation dérangeante. 

L’idée de départ me plaisait plutôt bien. Un roman « Young Adult », sans prise de tête, autour d’un thème plus qu’universel. Et pourtant, quelle déception ! J’ai détesté chaque ligne de l’histoire, chaque personnage et me suis vraiment forcée à terminer ma lecture, heureusement très courte. 

D’abord, et c’est ce qui m’a le plus dérangée, il n’y a aucune logique dans ce livre. Max essuie un chagrin d’amour en se réfugiant dans les bras de deux individus. Très vite, il oublie sa douleur et c’est comme si cela n’avait jamais existé. Pardonnez-moi mais ce n’est pas ça l’amour. On ne s’en remet pas en couchant juste avec quelqu’un d’autre ! Ainsi donc, l’histoire évolue et le lecteur suit de près la vie sexuelle de Max et de ses partenaires. Lorsque ses amourettes estivales s’éteignent, le héros est dévasté. Et comme par magie, son amour perdu lui retombe dans les bras. Et comme par magie (c’est fou ça), son ancien amour reprend flamme. Ces incohérences, liées à mon sens à une très mauvaise narration, m’ont particulièrement agacée et ne m’ont pas permis de nourrir de l’empathie vis-à-vis de Max. 

Parlons ensuite du sujet du sexe. A nouveau, je ne sais pas dans quel monde vit l’autrice mais ce qu’elle décrit, ce n’est clairement pas du sexe chez les adolescents ! Peut-être a-t-elle voulu déranger son public ?Dans ce cas, c’est réussi. Ce qui me pose un véritable problème, c’est de véhiculer ces concepts auprès d’un public adolescent et ce que Maureen Desmailles décrit n’a rien de commun. Qui peut se targuer, à 17 ans, d’avoir une vie sexuelle aussi débridée qu’intense ? Cela peut poser de véritables complexes chez des jeunes qui auront tendance à se comparer et à trouver leurs expériences aussi pauvres que minables. Qui, à 17 ans, est capable de jouir et faire jouir avec une telle facilité de toutes les manières possibles et imaginables ? Non, vraiment, c’est dérangeant. J’aurais aimé être prévenue que le seul élément central de ce roman serait du sexe de bas étage avec des ados mal dans leur peau mais experts en la matière et prêts à tourner leur prochain film porno. Je suis pourtant ouverte mais j’ai mes limites, surtout lorsque la cible peut être touchée par ces clichés ridicules et complètement décorrélés de la réalité. 

Revenons à Max, le personnage principal. Dès le début du roman, l’autrice met en garde le lecteur : le genre de Max sera passé sous silence. A nous, lecteurs, de choisir s’il s’agit d’une fille ou d’un garçon. Le prétexte ? Nous rendre acteurs de nos biais cognitifs. Tout simplement ridicule ! Si l’autrice avait réellement eu ce souci, elle nous aurait prévenus en fin d’ouvrage et non pas aux premières pages. Elle-même crée donc ce biais et je n’en vois pas l’intérêt à part se prendre de haut.

Enfin, je rebondis sur mon paragraphe précédent qui va dans le même sens. Le roman est rempli de relations LGBT et loin de moi de l’en condamner, que du contraire. Dommage que cela transpire le faux. J’ai surtout l’impression que l’autrice, sous couvert d’une mode sociale auprès de la nouvelle génération, a voulu se construire un univers LBGT-friendly mais c’est « too much » et ça ne prend pas. Ainsi donc, les personnages, en plus d’avoir une vie sexuelle hyper-active avec de multiples partenaires et orgasmes, mélangent autant les relations hétérosexuelles qu’homosexuelles. Caricature cachée ? J’en doute. Et puis, les protagonistes de l’histoire sont ultra-nombrilistes, concentrés sur leur petit plaisir égocentrique. Ils n’ont aucun loisir, aucun intérêt, ils sont vides, creux, inintéressés et inintéressants. Comment s’attacher à des personnages qui passent leur temps à penser au sexe ? N’ont-ils pas des qualités, des activités, une personnalité ?

En bref, une réelle perte de temps et une grosse déception. Imaginer que des âmes plus sensibles et fragiles pourront se procurer ce roman me met en colère. Je suis pour raconter le sexe, particulièrement auprès d’un public adolescent. Par pitié, faisons-le correctement. Ou alors, je suis peut-être passée complètement à côté du message.

« Les cerfs-volants de Kaboul » Kahled Hosseini

Sans conteste, mon meilleur livre de cette année 2024 ! J’ai tout simplement adoré et beaucoup appris sur l’histoire de l’Afghanistan.

S’étendant sur une période des années 70 jusqu’au début des années 2000, l’auteur propose une fresque historique assez impressionnante de son pays natal et des violences auxquelles il fait face depuis de nombreuses décennies.

Nous suivons donc l’histoire d’Amir, un jeune Afghan issu de la classe favorisé qui grandit avec son père et deux Azaras, dont Hassan, son frère de lait. On suppose que l’histoire commence autour de leur dix ans et qu’une amitié forte se noue entre eux. Pourtant, Amir est dur avec Hassan, le poussant dans ses retranchements, ne le protégeant pas de la violence subie. On s’effraie de la sauvagerie des enfants et des actes barbares qu’ils peuvent commettre.

Suite au coup d’état pro-communiste, Amir et son père finissent par fuir le pays dans des conditions extrêmes et trouvent refuge aux Etats-Unis. Pourtant, le héros ne cesse de raviver son passé qui le hante. Vivant au sein d’une communauté restreinte d’Afghans émigrés, Amir et son Baba parviennent pourtant à s’intégrer dans cette nouvelle vie. Jusqu’au jour où Amir est contraint de retourner en Afghanistan, voyage de catharsis et de brutalité inouïe.

La plume de l’auteur est magnifique. Les cerfs-volants de Kaboul se lit avec une grande facilité et retrace avec superbe une épopée historique et sociale. Les personnages, hauts en couleur, sont particulièrement attachants. La narration est construite de façon à ce que le lecteur, omniscient, soit complètement immergé, imbibé de ce pays. C’est véridique, puissant, beau et douloureux à la fois. Khaled Hosseini possède cette incroyable capacité de permettre à l’imaginaire du lecteur de créer un décor précis et net. Mon cerveau a créé son propre univers visuel autour de ce roman, ce qui me donne à la fois l’envie et la peur d’en découvrir l’adaptation cinématographique.

En somme, les cerfs-volants de Kaboul fait clairement partie de ces livres qu’on devrait lire une fois dans sa vie. Il nous éclaire sur des faits historiques et sociaux capitaux tout en nous rappelant la saveur qui émanait de l’Afghanistan avant que le pays ne soit ravagé par des conflits et une violence suprême. C’est une lecture spectaculaire, cruelle mais nécessaire.

« Et à la fin, ils meurent – La sale vérité sur les contes de fée » Lou Lubie

Lou Lubie, que j’ai découverte avec son grandiose « Goupil ou face » est de retour avec une BD informative et très éclairante sur les contes de fée.

A travers une vingtaine de chapitres, l’autrice-illustratrice décortique les origines des contes, leur évolution à travers le temps, les clichés qu’ils véhiculent et l’importance de la narration. Elle aborde des concepts extrêmement pointus, sans jugement aucun, qu’il s’agisse de la psychanalyse autour des contes, l’évolution sociétale et les courants littéraires qui ont jalonné ce genre littéraire, aujourd’hui tristement considéré comme « chidren-only ».

Mieux encore, Lou Lubie rappelle l’importance du conte dans la construction de l’enfant. Dans notre société bien-pensante, de nombreux parents n’osent plus lire de contes à leurs enfants par peur de la violence qu’ils colportent (un peu hypocrite quand on considère qu’il suffit d’allumer n’importe quel écran pour être abreuvé d’images bien plus difficiles). Lou Lubie s’est également documentée, la bibliographie en fin d’ouvrage atteste ses nombreuses recherches et ses sources sont extrêmement riches.

En somme, cette BD est à mettre entre les mains de tout adulte curieux et désireux d’en apprendre davantage sur les contes. Elle déconstruit des mythes et décortique avec brio ce genre universel qui n’a cessé de bercer notre humanité, par la transmission orale jusqu’aux livres. Un régal !

« Ma dévotion » Julia Kerninon

En plus d’être une excellente autrice, Julia Kerninon est une jeune femme au charisme indéniable ! Sa plume superbe m’a touchée, et je me réjouis de découvrir son « Buvard » très prochainement. J’avais été très touchée par « Liv Maria », découvert quelques mois plus tôt et voulais retrouver l’univers de Julia Kerninon. Ce fut une réussite avec une histoire d’amour puissante. 

Helen et Franck, enfants de diplomates, se rencontrent à la fin de l’enfance et tombent rapidement amoureux l’un de l’autre. Très vite, ce sentiment se transforme en une amitié impressionnante qui va traverser le temps, les continents et la vieillesse jusqu’en 1994 où un drame les sépare à jamais. 

Avec « Ma dévotion », Helen s’adresse à Franck, le roman est donc rédigé à la deuxième personne, ce qui peut être déroutant mais ne m’a pas dérangée. J’avais détestée « GPS », à la structure similaire mais trop pédante à mon goût. Ici, j’ai eu l’impression que la narratrice rendait hommage à l’amour de sa vie à travers des chapitres-lettres. 

Par moments, ce roman tirait en longueurs à mon goût, certains chapitres ont manqué de dynamisme et m’ont paru un peu superflus. Cependant, « Ma dévotion » reste une très belle manière de décrire l’amour fou, l’amour qui nourrit mais qui détruit et l’amour non-réciproque. J’ai ressenti une empathie exacerbée pour Helen que j’ai eu envie de consoler. Son adoration, que dis-je, sa dévotion pour Franck sont totalement incompréhensibles mais nous touchent, lecteurs, en plein coeur. Mal-aimée de sa naissance jusqu’à la fin de sa vie, Helen incarne l’image de la femme dans l’ombre. On lui aurait souhaité meilleur compagnon de vie, peut-être n’était-elle pas prête à s’aimer davantage. 

« Ne t’arrête pas de courir » Mathieu Palain

Mathieu Palain, que j’avais découvert en 2020 avec « Sale gosse » signe ici une incroyable histoire (vraie) rendant hommage à Toumany Coulibaly, un athlète français au niveau olympique, gâché par les vols à répétition.

Ce qui est intéressant, c’est de comprendre (et nous l’apprendrons plus tard dans le livre) comment l’auteur en est venu à s’intéresser au milieu carcéral. Très vite, dans sa carrière de journaliste, Mathieu Palain veut comprendre. Il fréquente de nombreuses prisons, s’interrogeant même sur la potentielle non-culpabilité de certains détenus. Cela le mènera d’ailleurs jusqu’à New York pour rencontrer Dewey Bozella, un homme condamné à plus de vingt ans de prison pour un meurtre qu’il n’a pas commis. 

Ainsi, Mathieu Palain décide d’aller à la rencontre de Toumany Coulibaly en lui écrivant une lettre à laquelle il ne répondra qu’un an plus tard. Se développe progressivement une relation sincère et profonde entre ces deux hommes, liés par le même engouement pour le sport.

La première partie du livre nous brosse le décor et l’histoire de Toumany. D’origine malienne, il grandit en banlieue parisienne avec dix-huit frères et soeurs, ainsi que ses deux mères. C’est un gentil mais il flirte très rapidement avec le vol, qui devient presque un mode de vie. Intelligent et doué, Toumany n’use jamais de la violence et se focalise sur des petits braquages répétés. Cette succession de larcins, aussi pacifiques soient-ils, l’entraînent progressivement vers l’emprisonnement. 

A côté de cela, Toumany possède un véritable talent pour la course à pied, plus spécifiquement le 400 mètres. Il n’aura jamais la possibilité d’achever une saison complète, son addiction pour le vol le rattrapant constamment. Il loupe de peu la qualification aux JO et ne parvient jamais à se requalifier pour ceux de Rio, en 2016, bloqué en prison. Parallèlement, le monde de l’athlétisme fomente ses mauvaises habitudes. Être athlète de haut niveau dans ce sport ne paie pas les factures, au contraire. Les voyages coûteux pour s’entraîner en « Boot Camp » le rattrapent et le poussent à commettre de nouveaux délits. 

Avec « Ne t’arrête pas de courir », Mathieu Palain met en exergue des sujets profonds et extrêmement bien traités. Son point de vue journalistique, tronqué par la naissance de son amitié avec Toumany Coulibaly, offre un regard nouveau sur le milieu carcéral et permet au lecteur de découvrir plusieurs de ces facettes vraisemblablement méconnues. Sans jugement, sans détails inutiles ni violence, l’auteur y décrit les tabous et la souffrance humaine. C’est aussi une belle manière de mettre à l’honneur l’univers impitoyable du sport de haut niveau et toute la résilience à laquelle font face les athlètes. Enfin et surtout, c’est un livre qui traite de l’auto-sabotage comme fil conducteur et nous rappelle à quel point nous sommes les seuls vrais arbitres et conducteurs de notre propre vie. 

Toumany Coulibaly et Mathieu Palain, sur piste après sa sortie de prison en 2021.

« Ne jamais couler » Marie de Brauer

Une jolie BD qui traite d’un sujet tabou et douloureux : la grossophie. Depuis son plus jeune âge, Marie est ronde (ou grosse, si on reprend son langage plus direct). Très tôt, dès l’adolescence, elle se heurte à cette société qui sacralise le corps et évince ceux qui ne rentrent pas dans le moule.

C’est avec beaucoup de transparence et d’énergie que l’autrice tente d’informer son public. Être gros, ce n’est pas forcément une absence de volonté quelconque. C’est aussi croire, à tort, qu’en étant mince, on sera plus heureux, ce qui est complètement et malheureusement erroné (ha, si c’était si simple…!)

Marie de Brauer décrie ici un thème jusqu’alors peu abordé dans la littérature ou la bande dessinée. Il est d’autant plus poignant dans notre monde actuel où les réseaux sociaux ont pris une ampleur phénoménale et ne montrent qu’un pan de la réalité, nous privant ainsi du kaléidoscope qu’est la vie. A l’heure où l’on ne partage que les moments de bonheur, paroxismes de superficialité, c’est essentiel d’élever la voix et de dénoncer ce triste phénomène qu’est la grossophopie.

Le plus frappant, c’est qu’un nombre incroyable de personnes sont victimes de leur surpoids au quotidien et se sentent terriblement démunies et seules, comme dans la plupart des différences physiques ou encore, des troubles alimentaires.

J’ai apprécié le style graphique de Lucymacaroni (la dessinatrice) combiné au ton de voix cinglant et vrai de Marie de Brauer. En somme, une BD à remettre entre les mains de tous les adultes et adolescents, car c’est d’abord par la prévention et un regard éclairé que nous pourrons nous prémunir du poids du regard des autres.

« Les dragons » Jérôme Colin

« Tu sais, a-t-il ajouté, notre société elle fait des gosses. Mais elle ne prend plus le temps d’avoir des gosses. C’est un problème structurel . Je ne dis pas qu’il faut que tout le monde se transforme soudainement en hyperparents ou hyperprofs. Juste en adultes qui prennent le temps de penser à cela. Mais l’accélération de la vie ne le permet pas. Comme si on n’avait plus le temps. C’est ça aussi la société de consommation. On produit. On abandonne. Pour reproduire plus encore. Dans ta radio, tu dois parler du désespoir et de la souffrance des adolescents. De notre incapacité, à nous les adultes, de leur proposer un autre monde. On les gave de médicaments car on est incapables de les gaver d’espoir. Et bientôt, ça nous explosera au visage, crois-moi. »

Subjuguée, voilà comment je me sens sens après ma lecture des Dragons. Jérôme Colin est un maître de la littérature et je ne dis pas ça parce qu’il est belge ! En partie autobiographique, ce roman nous plonge dans les abîmes de l’adolescence et ses souffrances. Jérôme, le narrateur âgé de 15 ans, ne semble pas venir d’un milieu défavorisé ou non-aimant. Il est en colère contre ses parents, les adultes, le monde et surtout lui-même. Comme la plupart des adolescents, Jérôme ne s’aime pas suffisamment, ne s’estime pas. Sa douleur n’en est que décuplée. Il se retrouve donc interné dans un centre spécialisé pour jeunes difficiles. On y découvre des enfants abusés, violentés, maltraités qui se bousillent, se scarifient, s’affament, tentent de se suicider. 

Sans tomber dans le pathos, l’auteur parvient à décrire un environnement d’une extrême justesse où la détresse n’a pas de limites. Il décrit avec brio notre incapacité à prendre soin de ces jeunes amochés. Parce que abusés, parce que non-adaptés à notre société néo-libérale où l’humain et l’empathie s’étiolent gravement. C’est une mise en exergue puissante de notre monde ultra-rapide, ultra-connecté, ultra-désincarné dans lequel la bienveillance et la contemplation deviennent des denrées rares. On comprend ces jeunes inaptes qui refusent cette place. Il n’y a pas de vainqueur, c’est ici la résilience qui paie. Probablement aussi le milieu socio-culturel duquel on provient. Peut-être d’autres facteurs qui nous échappent, l’être humain est fascinant. 

Je ressors très touchée de cette lecture poignante, reconnaissante qu’un adulte, journaliste de surcroît, puisse transmettre ce message. Dans la plupart des romans traitant de la douleur adolescente, cette difficulté à devenir un adulte dans un monde désincarné, Jérôme Colin ne s’est pas focalisé sur une histoire, il décrit brillamment le collectif et permet ainsi une certaine universalité : devenir adulte, c’est un passage douloureux pour tous, dont certains se sortent plus indemnes que d’autres, certes. 

C’est un roman qui aborde multitude de sujets, tous gravitant autour de ce thème mais mettant en lumière des réflexions profondes sur notre mode de vie et la façon dont fonctionne notre monde. Il mérite plusieurs lectures pour plusieurs analyses car certains messages sont parfois moins palpables. 

Incontestablement, Jérôme Colin est parvenu à se défaire de sa noirceur que j’avais peu appréciée dans « Eviter les péages ». Je l’ai trouvé beaucoup plus abouti et moins fataliste, avec une plume juste et proche du grand public. Il ne me reste donc plus qu’à lire « Les champs de bataille », son avant-dernier roman qui m’avait jusqu’alors échappé. 

« Le Grand Monde » Pierre Lemaître

Deux ans après sa sortie, je me décide enfin à plonger dans une nouvelle lecture d’un auteur qui a marqué mon adolescence. On ne présente plus Pierre Lemaître que j’ai d’abord connu à travers ses thrillers. L’excellent « Robe de Marié » m’avait bluffé pour la finesse de sa psychologie. Bref, je m’attends à une épopée addictive de près de 700 pages, malheureusement, la magie n’opère pas totalement et ma lecture se fait plus lente.

Beyrouth, 1948, l’histoire s’ouvre sur un événement familial réunissant les Pelletier, ce couple français installés depuis une vingtaine d’années au Liban et leurs enfants, devenus jeunes adultes. Adèle et Louis ont réussi à bâtir une jolie fortune grâce à leur savonnerie réputée. Le roman commence par le départ de Jean et François, l’aîné et le second, qui quittent le pays pour s’installer à Paris. Très vite, c’est au tour d’Etienne de s’enfuir au Vietnam rejoindre son petit-ami enrolé dans la Guerre Froide et enfin, plus tard, Hélène, la cadette qui rejoint ses frères dans la capitale française. 

On suit donc ces quatre protagonistes avec une intensité relative. Etienne, homosexuel avant les années 50 (redonnons du contexte) coincé à Saigon, une ville baignée de violences, subit la disparition de son bien-aimé et se retrouve embarqué dans une histoire complètement inédite. 

Pendant ce temps, on suit les tribulations de Jean, alias Bouboule, l’aîné qui ne cesse de rater et subir sa vie. Son épouse, Geneviève, m’a donné une furieuse envie de lui coller une bonne paire de claques : son personnage est savamment construit et dépeint, une réussite. Jean, lui non plus, n’est pas en reste. Sous ses airs de victime, il cache un profond trouble psychiatrique. En parallèle, vient François, ce jeune étudiant à Normal Sup qui s’y désinscrit très vite pour poursuivre son rêve et devenir journaliste. Son rôle occupe une place prépondérante dans ce roman et lui confère une place à part entière. Hélène, de son côté, nous surprend par ses frasques puis déçoit par son tempérament d’enfant gâtée. 

Tous ont le même point commun : un sacré problème psychologique. On présume pourtant qu’ils ont dû avoir une enfance heureuse, difficile de comprendre d’où proviennent leurs comportements dangereux et rebelles. Plus tard, le lecteur apprendra que les parents ne sont finalement pas des oies blanches et qu’ils ont eux-mêmes trempé dans des affaires peu réglementaires.

J’ai retrouvé l’agréable plume de Pierre Lemaître, égal à lui-même. L’écriture et les personnages sont soignés, tout est bien cadenassé et le lecteur va de rebondissements en aventures intenses. Cependant, je n’ai pas ressenti cette frénésie, ce besoin vital de lire et finir à tout prix. J’étais bien évidemment curieuse de connaitre la suite de cette épopée mais certains passages m’ont parus vraiment longs. C’est ma petite déception. Pour le reste, nul doute que « Le Grand Monde » dépeint à merveille un contexte politico-économique des plus complexes. Historiquement, c’est une merveille. Ce n’est pas celui de l’auteur que je retiendrais dans mon palmarès mais il va sans dire que c’est une excellent roman dépeignant avec brio une saga familiale peu commune ainsi que des personnages attachants et hauts en couleurs.